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Les derniers pinceaux de lumière – ( RC )

photo perso 2021 -Finistère dunes Ste Marguerite

Je ne garde de la fin du jour
qu’un instant suspendu,
entre les mains effilochées des nuages.
Je traque les couleurs de cendre,
l’écho lointain du soleil,
tissant au-dessus des nuées
des franges d’or.

Nous étions sur ce bord de mer,
t’en souviens-tu, ?
les rubans d’algues noires
parmi lesquelles couraient ces oiseaux,
que l’on nomme bécasseaux,
évitant les vaguelettes
aux bords ourlés de crépuscule.

Nous avons poursuivi un temps
notre marche au pied des dunes,
déjà le gris avait envahi le sable,
un gris aux mille nuances,
jouant avec les facettes rudes
du blockhaus renversé,
fossile sinistre de décennies trépassées.

Nous nous abreuvons de leur distance,
le béton inutile, aussi dérisoire
qu’une coquille vide repoussée par la marée.
Les algues mortes semblent les membres
d’un corps abandonné, avec doigts épars
et têtes spongieuses.
Incapables de reconstituer l’ensemble,

mais contribuant au contour, à la dramaturgie
d’une scène, dont nous sommes absents,
C’est comme s’il manquait des pièces au décor,
                      pour qu’on y croie vraiment,
–  peut-être à cause de la quiétude
qui a suivi la tempête – ,
et l’activité joyeuse des petits oiseaux.

Ils sont toujours, à quelque distance,
se poursuivant de manière comique,
                 bien loin des idées sombres,
alors que l’astre solaire
délivre ses derniers pinceaux de lumière,
gravant leur dessin dans ma mémoire.
Il commence à faire froid,           je garde ta main dans la mienne.

Le vent s’est levé ;       il est temps de rentrer

Des tours bien fragiles – ( RC )

peinture: Anselm Kiefer

Tu n’as pas su construire,
avec tes mots, une tour
assez solide pour atteindre,
ne serait-ce que
le plus bas des nuages.

Une échelle demeure
renversée dans les gravats.
C’est aussi que l’orgueil
n’a pas réussi à ouvrir
une seule fenêtre.

Jacob a pris ses rêves pour une réalité
mais les anges gardent leur domaine,
et ont repoussé l’échelle du pied,
détruit la tour,
il est vrai, bien fragile :

la terre promise empiète souvent
sur celle des autres,
et si on prend un dieu à témoin
pour tracer les frontières,
chacun peuple se réserve le droit
de construire des tours plus hautes encore:

l’orgueil suscite des vocations
toujours plus nombreuses,
mais appelées inexorablement
à retourner à la poussière.

Je m’arrête, maintenant,
sous un soleil au regard fixe.
Il sera toujours, hors de portée .

L’encre de la mémoire – ( RC )

chr -- cry p

montage  perso

Dis moi que le sang
a séché au soleil,
que ma blessure a oublié
jusqu’à ton sourire …

Dis moi qu’autant
la douleur se délaye,
moi qui ai prié
pour pouvoir mourir …

Si les années
ont trépassé,
je reste esclave de mon passé
qui est emprisonné.

Ce n’est pas que je le craigne,
car le ciel a répandu son baume,
mais il arrive que saigne
ma cicatrice, mon anémone…

Son sang est un sang noir
qui revient de temps en temps

comme la marée d’un océan
portée par la mémoire.

RC – avr  2020

Image

lumière dedans

peinture acrylique  sur toile non tendue…  grand  format  1,50x 1,70m

technique: superposition de couches  de couleurs acrylique  en transparence

scan 30

Fleurs de Jean-Gilles Badaire – ( RC )

peinture Jean-Gilles Badaire

Tant de cendre sur l’image,
de griffures , de ciels d’hiver,
tant de gerçures, de soleils noirs
et de gestes empâtés,
quelques fleurs desséchées
comme des cœurs arides
couronnés d’épines
depuis longtemps
vidés de leur sang,
nature tragique immobile

  • présence dans l’absence
    vie interrompue,
    nature morte qui crie
    de son silence
    dès qu’on s’approche
    de ses noirs et ses gris….

Rassemblement dans la ville – ( RC )

Voici venue l’heure
quand les bécasseaux
( ou ce qui y ressemble )
mènent leur sarabande.

Ils recréent des feuilles chantantes,
s’emparent des quelques arbres
dénudés par l’hiver
d’une place au centre de la ville .

Des foules de volatiles se rassemblent.
Les arbres bruissent , s’animent
de frottements d’ailes
et mille pépiements.

On n’entend plus rien qu’eux.
Ils couvrent les bruits de la circulation.
Longue est la pluie sur la place
les oiseaux ne s’en soucient guère.

Par brassées, ils strient le ciel en nuages
pour revenir se poser sur les branches.
Pourquoi viennent ils ici
et pas ailleurs?

D’autres lieux seraient plus propices
à la préparation de leur voyage
pour de lointaines migrations …

Ne dites rien, écoutez seulement
le ruissellement du soir
qui les accompagne.

Un reste de soleil sombre
dans une obscurité sourde ,
jusqu’à la venue de l’aube.

Demain ils ne seront plus là,
et la place semblera vide, par leur absence,
la ville retrouvera son statut anonyme.

A day in the life – ( RC )

dessin – collage Jane Cornwell

Un jour parmi d’autres…
voyage immobile,
trente deux trous de mémoire,
et ma valise ouverte
au milieu de la scène,
devant les rideaux noirs.

Un jour comme un autre,
où le réveil sonne trop tard,
je dévale l’escalier de service,
me peigne en passant devant le miroir,
– tu crois que le train va m’attendre
pour aller à Lancashire ?

J’ai répété cet acte manqué
dans le coin de la pièce
sans regarder l’heure,
avant les trois coups
qui marquent, au théâtre
le début du spectacle.

Un jour dans la vie,
qui retourne d’où il vient
sans m’avoir attendu
sur le quai de la gare.
Je commence à avoir l’habitude
des heures qui trépassent.

Qu’importe maintenant
si je suis en retard :
le train est parti,
je n’irai nulle part,
et ma valise est vide,
mais lourde de solitude …

RC – janv 23

* écho très approximatif à la chanson du même nom…

Le piano s’est fracassé sur le mur sombre de l’histoire – ( RC )

Avec une bordée de nuages,
on aurait pu voir voler
le piano à queue
qui déployait ses ailes sombres
pour le grand voyage.
Des étoiles glissaient
sur son habit laqué
et la lune jouait de ses reflets
comme la sonate au clair
contre le soleil noir .

Mais le monde a changé
il est devenu brutal ;
le piano s’est fracassé
sur le mur sombre de l’histoire.

Les musiciens sont enfermés
derrière des portes de métal:
on leur a brisé les doigts
pour qu’ils ne jouent plus des rhapsodies,
et qu’on leur ferme
les portes d’un paradis:
même si les anges meurent,
que l’on fasse taire leur musique,
elle chantera toujours dans ton cœur…

et avec l’interprétation « audio » de Laurent Steed Chapelon

Rien ne me fera retourner en arrière – ( RC )

peinture Lucio Fontana: l’histoire du jour

Je marche contre le vent,
le sable me colle aux yeux,
tourbillonne et envahit de gris,
la couleur de la vie.
Ma toile s’obscurcit.
Pourtant je jouais la transparence,
et l’écume filait
sur la crète des vagues .

Je marche contre le temps,
mais rien ne me fera retourner en arrière,
on ne va que dans un seul sens,
sans pouvoir revenir
dans le paysage de naissance.
Je ne peux que taillader,
au hasard, la toile peinte aujourd’hui.

Elle s’égouttera, saignant de ses blessures,
et derrière, je ne verrai que
la porte de la nuit.

RC janv 23

Je ne suis plus que pierre – ( RC )

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photo Elena Elisseeva

Ne regrette pas la feuille blanche
elle t’a fait naître
au milieu de la tempête,
et ta robe s’est envolée dans les branches.

Ne regrette pas le vent de l’automne,
il a emporté dans le sommeil
les derniers rayons de soleil,
mais nous a offert ses pommes.

Ne regrette pas les orages,
tes larmes à en perdre la raison :
il y a pas d’oraison
funèbre sur les rivages.

Repense à l’été,
la plus belle des saisons
porteuse de ses moissons
et ce qui a été.

Ce qui a été ne reviendra plus,
mais n’est jamais très loin.
Tu sais combien
je t’ai attendue

Combien de souvenirs
aussi, reviennent à mon esprit
comme le ressac de la vie
et du désir .

Les retenir dans ma poitrine
est impossible:
la main du temps en est invisible
et tout aussi assassine .

Le chant de la terre
a immobilisé mon sang
et dans son enchantement
je ne suis plus que pierre.

RC

Fruits de l’utopie – ( RC )

Y a-t-il encore des poires dans ma cuisine ?
ou se sont-elles mariées avec des pénitents étrangers ,
qui se guident avec des sucres d’orge ?
je crois que je les entends !

Ah, c’est sans doute le bruit de leurs bottines,
qui font « flac ! » dans le sirop.
Comment fermer les yeux
sur leurs desseins coupables ?

Heureusement, j’avais enlevé les assiettes de la table :
( j’ai bien le droit de dormir un peu
et de penser à toi, cachée derrière l’armoire
qui me montrait la lune du doigt! ) .

J’ai fait tourner les aiguilles du réveil
dans la direction de l’ouest,
tout en haut des rayonnages ,
là où les souris se délectent de recettes.

L’une d’elles en robe d’abricot sec
dansait avec Fred Astaire :
vaut-il mieux soulever la poussière
que glisser dans la graisse d’oie ?

Personne n’aura l’idée d’enlever les miettes :
vêtu d’un maillot rose et sans lunettes,
je préférerai les fruits secs
à la tragédie antique.

Mais c’est encore un rêve qui bascule
au fond des utopies.
J’ai quand même retrouvé une poire,
dissimulée sous le lit.

Je l’ai enveloppée dans du papier de soie
couvert de ton écriture :
> c’est comme cultiver mon émoi
avec un peu de confiture !

RC – dec 2020

Sous le pont, les souvenirs ont trépassé – ( RC )

Je me penche au-dessus du pont;
     j’y vois mon reflet,
avec toute la mémoire
    qui , jamais       ne répond,
comme défilent ces eaux lasses.

La somme des souvenirs,
         doucement chavire ;
elle se mélange sans fin
aux eaux du passé
pour se perdre dans les lointains.

Le pont mousseux est vide;
le fleuve n’est pas limpide.
      Des herbes aquatiques
        poussant en oblique
se mélangent aux nuages.

Aujourd’hui, personne ne nage
sous les berges de la Seine,
et je garde ma peine :
           où es-tu passée,
           toi qui t’es jetée

du pont des Trépassés ?

RC  – juillet  2020

La dispute – ( RC )

Chapiteau dit de « La Dispute » (XIe) – Musée Sainte-Croix, Poitiers (86)

Il était moins une :
un génie a figé dans la pierre
de la manière la plus opportune
nos héros à l’attitude guerrière :
chacun se tient par la barbichette:
aucun ne veut céder du terrain
on brandit une hachette,
enfin, tout ce qui tombe sous la main :

de petits personnages placés en arrière
apparaissent dans le décor
tentent de retenir les adversaires
c’est que le corps à corps
ne favorise pas la discussion
entre nos lutteurs,
c’est alors, au comble de l’émotion
que le sculpteur
pour éviter l’issue funeste
prend la décision
de suspendre leurs gestes

car dans l’abbatiale
le combat fatal
aurait été du plus mauvais effet:
figés comme des chiens d’arrêt…
on a dû placer tout en haut
ces petits bonshommes,
en équilibre sur une colonne
avec ce chapiteau
que l’on dit historié
d’une église de Poitiers…

La porte en fer, face à la mer – ( RC )

photo – Alspix

Nous nous sommes retrouvés
face à une porte close
aux lourds gonds de fer
qui penchait un peu
dans son cadre de béton
devant l’étendue de la mer,
n’ayant de limite
que l’immense horizon.

Un mur de béton , peut-être,
mais dont les fondations
prises dans le sable
ne résisteront sans doute pas
à de futures tempêtes.
J’imagine ce bâtiment
tout à fait inconfortable,
avec une seule petite fenêtre
sur le côté , condamnée
à ne pas voir l’été.
Juste à côté,
les vagues s’étalent,
déferlent en liberté .

C’est une porte en métal
aux lourds gonds de fer
mais je ne parie pas sur son avenir:
la rouille, sans qu’on y pense
la rongera en silence
jusqu’à l’anéantir.
Soyons sans illusion:
les années passeront,
et nous retrouverons le cadenas
un jour, au milieu des gravats.